Page:Zola - Thérèse Raquin, Lacroix, 1868.djvu/72

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On dirait qu’il comprend et qu’il va ce soir tout conter à Camille… Dis, ce serait drôle, s’il se mettait à parler dans la boutique, un de ces jours ; il sait de belles histoires sur notre compte…

Cette idée, que François pourrait parler, amusa singulièrement la jeune femme. Laurent regarda les grands yeux verts du chat, et sentit un frisson lui courir sur la peau.

— Voici comment il ferait, reprit Thérèse. Il se mettrait debout, et, me montrant d’une patte, te montrant de l’autre, il s’écrierait : « Monsieur et Madame s’embrassent très-fort dans la chambre ; ils ne se sont pas méfiés de moi, mais comme leurs amours criminelles me dégoûtent, je vous prie de les faire mettre en prison tous les deux ; ils ne troubleront plus ma sieste. »

Thérèse plaisantait comme un enfant, elle mimait le chat, elle allongeait les mains en façon de griffes, elle donnait à ses épaules des ondulations félines. François, gardant une immobilité de pierre, la contemplait toujours ; ses yeux seuls paraissaient vivants ; et il y avait, dans les coins de sa gueule, deux plis profonds qui faisaient éclater de rire cette tête d’animal empaillé.

Laurent se sentait froid aux os. Il trouva ridicule la plaisanterie de Thérèse. Il se leva et mit le chat à la porte. En réalité, il avait peur. Sa maîtresse ne le possédait pas encore entièrement ; il restait au fond de lui un peu de ce malaise qu’il avait éprouvé sous les premiers baisers de la jeune femme.