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Page:Zola - Travail.djvu/101

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Qurignon, de sorte qu’ils devinrent les maîtres absolus, sans avoir désormais de comptes à rendre aux deux seuls héritiers survivants, la tante Laure, la religieuse, et André, le pauvre être rachitique, à demi fou, enfermé dans une maison de santé. Delaveau, du reste, remplit ses engagements, réorganisa l’usine, renouvela l’outillage, obtint un tel succès dans la fabrication des aciers fins, qu’au bout de la première année les gains s’annoncèrent déjà superbes. En trois ans, l’Abîme avait repris sa place parmi les aciéries les plus prospères de la contrée, et les rentes que les douze cents ouvriers gagnaient à Boisgelin, lui permirent de s’installer à la Guerdache dans un grand luxe, six chevaux à l’écurie, cinq voitures sous la remise, des chasses, des fêtes, des dîners, auxquels les autorités de la ville se disputaient les invitations. Aussi, Boisgelin, qui avait traîné lourdement son oisiveté, en mal de Paris, pendant les premiers mois, semblait maintenant s’être acclimaté à la province, ayant retrouvé un petit coin d’empire où sa vanité triomphait, étant de nouveau parvenu à remplir de vide sa vie bourdonnante d’insecte inutile. Et il y avait surtout une cause secrète, toute une fatuité victorieuse, dans la tranquille condescendance qu’il mettait à régner sur Beauclair.

Delaveau s’était installé à l’Abîme, où il occupait l’ancien logis de Blaise Qurignon, avec sa femme Fernande, et leur fillette Nise, à peine âgée de quelques mois. Lui avait alors trente-sept ans, et sa femme vingt-sept. Il l’avait connue chez sa mère, une maîtresse de piano, qui habitait le même palier que lui, au fond d’une maison noire de la rue Saint-Jacques. Elle était d’une beauté éclatante si belle et si souveraine, que, pendant plus d’une année, lorsqu’il la rencontrait le long des marches, il se serrait contre le mur tremblant, en garçon honteux de sa laideur et de sa pauvreté. Puis, des saluts s’échangèrent, une intimité commença, la mère lui confia qu’elle