Page:Zola - Travail.djvu/102

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avait habité douze ans la Russie et que cette fille, d’une magnificence de reine, était le seul cadeau qu’elle en avait rapporté, après avoir été séduite par un prince, dans le château où elle était institutrice. Certes, le prince, qui l’adorait, l’aurait comblée d’une royale fortune ; mais il était mort, tué par accident d’un coup de feu, au soir d’une chasse, et la triste femme revenue sans un sou à Paris, avec sa petite Fernande, n’avait pu qu’y reprendre ses leçons, l’élevant grâce à un travail acharné rêvant quand même pour elle quelque prodigieux destin. Fernande bercée d’adulations, convaincue que sa beauté la destinait à un trône, s’était heurtée à la misère noire, aux bottines qu’on ne savait comment remplacer, aux robes et aux chapeaux qu’il fallait sans cesse reluire soi-même. Une colère de chaque heure l’avait envahie, un tel besoin de victoire, que, depuis l’âge de dix ans, elle n’avait pas vécu un seul jour sans apprendre la haine, l’envie, la cruauté, amassant en elle d’extraordinaires forces de perversion et de destruction. Ce qui l’acheva, ce fut d’avoir cru que sa beauté vaincrait quand même, par sa propre toute-puissance, au point qu’elle eut la sottise de se donner à un homme, à un maître de la fortune et du pouvoir, qui, le lendemain, la lâcha. Cette aventure, ensevelie au fond le plus amer de son être, devait lui enseigner le mensonge, l’hypocrisie et la ruse, qu’elle n’avait point encore. Elle se jura bien de ne pas recommencer, elle gardait trop d’ambition pour tomber à la galanterie. C’était la faillite de la beauté, il ne suffisait pas d’être belle, il fallait trouver l’occasion de l’être, rencontrer l’homme qu’on ensorcelait, dont on faisait sa chose obéissante. Et, sa mère étant morte, d’avoir couru le cachet un quart de siècle, dans la boue de Paris, pour lui gagner à peine du pain, elle sentit naître l’occasion, elle se trouva en présence de Delaveau, pas beau, pas riche, qui offrait de l’épouser. Elle ne l’aimait