Page:Zola - Travail.djvu/129

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son regard, il reprit d’une voix sourde, la face close, sans pensée :

« Si ces dames et ces messieurs veulent bien entrer se reposer un moment. »

Mais Luc avait vu ses yeux luire, il fut surpris de le retrouver si terreux, si sec, dans sa haute taille maigre, comme déjà brûlé par les grands soleils, à quarante ans à peine. Pourtant, il était d’une intelligence fort vive, ainsi qu’il s’en aperçut ensuite, en l’écoutant causer avec Boisgelin. Ce dernier lui ayant demandé, d’un air riant, s’il avait réfléchi au sujet du bail, le fermier hocha la tête, répondit des paroles brèves, en diplomate désireux de vaincre. Évidemment, il réservait ce qu’il pensait : la terre à ceux qui la cultivaient, la terre à tous, pour qu’on se remît à l’aimer et à la féconder. Aimer la terre ! et il haussait les épaules. Son père, son grand-père l’avaient aimée furieusement. À quoi cela leur avait-il servi ? Lui, attendait de pouvoir l’aimer de nouveau, quand il la féconderait pour lui, pour les siens, et non pour un propriétaire, dont l’unique pensée serait d’augmenter le fermage, le jour où la récolte doublerait. Et il y avait autre chose encore au fond de ses demi-paroles, dans son regard clair sur l’avenir : l’entente sage entre les paysans, les champs si divisés mis en commun, la grande culture intensive, par les machines. C’étaient des idées rares qu’il s’était faites peu à peu, que les bourgeois n’avaient pas besoin de savoir, mais qui parfois sortaient quand même de lui.

On avait fini par entrer s’asseoir un instant dans la ferme, et Luc retrouvait les murs froids et nus, l’odeur de travail et de pauvreté, qui, la veille, l’avaient tant frappé chez les Bonnaire, rue des Trois-Lunes. Sèche et terreuse, pareille à son homme, la Feuillat était là, muette, résignée, avec le seul enfant qu’elle avait eu, un grand garçon de douze ans, Léon, qui aidait déjà son père. C’était partout, chez le paysan ainsi que chez l’ouvrier, le