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Trois-Lunes, profitant du libre dimanche. Et tout s’expliquait, Lucien ayant inventé un petit bateau qui marchait seul, et Nanet s’étant offert, en se faisant fort de le mener à une mare, qu’il connaissait, une belle mare où l’on ne rencontrait jamais personne. Le petit bateau, maintenant, marchait seul sur l’eau claire, sans une ride. C’était un prodige.

Simplement, Lucien avait eu le coup de génie d’utiliser le mécanisme enfantin d’une petite voiture roulante, un jouet de dix-neuf sous, en adaptant les roues, garnies de palettes, à un bateau creusé dans un bout de sapin. Et ça faisait bien dix mètres, sans être remonté. Le pis était qu’il fallait alors rattraper le bateau avec une perche, ce qui, chaque fois, manquait de le submerger.

Mais, pétrifiés d’admiration, Paul et ses deux invitées restaient debout au bord de la mare. Louise surtout, les yeux luisants dans son mince visage de chèvre capricieuse, fut bientôt emportée par un désir sans bornes. Elle tendit ses menottes, elle cria :

« Je veux, je veux… »

Puis, elle courut à Lucien, qui, d’un coup de perche, venait de remmener le bateau, pour le remonter. La bonne nature, dans le plaisir du jeu, les rapprocha. Ils se tutoyèrent.

« C’est moi qui l’ai fait, tu sais.

— Oh ! fais voir, donne ! »

Il ne voulut pas, il défendit son bien contre les menottes spoliatrices.

« Ah ! non, pas celui-là, j’ai eu trop de peine… Tu vas le casser, lâche-le. »

Pourtant, il finit par faiblir, la trouvant très gentille, l’air si gai et sentant bon.

« Je t’en ferai un autre, si tu veux. »

Et, comme il avait remis le bateau sur l’eau, et que les roues de nouveau marchaient, elle accepta, elle battit