Page:Zola - Travail.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mais encore la vigueur physique d’entreprendre et de mener ainsi à bien des travaux considérables, qui semblaient demander plusieurs existences d’hommes forts et bien portants ? Et il trottait menu, et il respirait à peine, et il soulevait un monde de ses petites mains frêles d’enfant malade.

Cependant, Sœurette parut, et gaiement :

« Quoi donc ? vous ne venez pas dîner… Mon bon Martial, je fermerai le laboratoire à clé, si tu n’es pas raisonnable. »

La salle à manger, ainsi que le salon, deux pièces assez étroites, tièdes et douces comme des nids, sur lesquels veillait un cœur de femme, ouvraient en pleine verdure, déroulant un horizon de prairies et de terres labourées, jusqu’aux lointains perdus de la Roumagne. Mais, à cette heure de nuit, les rideaux étaient tirés, bien que la soirée fût douce ; et, tout de suite, Luc remarqua de nouveau les soins minutieux que la sœur prodiguait au frère. Il suivait un régime compliqué, avait ses plats, son pain, même son eau, qu’on lui faisait tiédir légèrement. Il mangeait comme un oiseau, se levait et se couchait de bonne heure comme les poules, qui sont de sages personnes. Puis, dans la journée, c’étaient de courtes promenades, des repos, des siestes, entre les séances de travail. À ceux qui s’étonnaient du prodigieux labeur qu’il fournissait et qui le croyaient un abatteur terrible de besogne, un bourreau de lui-même, œuvrant du matin au soir, il répondait qu’il travaillait à peine trois heures par jour, deux heures le matin, une heure l’après-midi ; et encore, le matin, divisait-il sa séance en deux par une petite récréation, incapable de fixer son attention sur un sujet pendant plus d’une heure, sans des vertiges, comme si sa tête se vidait. Il n’avait jamais pu donner davantage, il ne valait que par sa volonté, sa ténacité, sa passion de l’œuvre qu’il portait, qu’il engendrait de toute sa bravoure intelligente,