Page:Zola - Travail.djvu/152

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dussent les couches durer des années, quand il l’avait conçue.

Alors, Luc trouva la réponse à cette question qu’il s’était posée souvent, de savoir où Jordan, si chétif, trouvait la force de travaux énormes. Il ne la trouvait que dans la méthode, par l’emploi sage et raisonné de ses moyens, si petits qu’ils fussent. Même il utilisait ses faiblesses, s’en faisait une arme contre les dérangements du dehors.

Mais surtout il voulait toujours la même chose, donnait à l’œuvre chacune des minutes dont il disposait, et cela sans découragement possible, sans lassitude, avec la foi lente, continue, acharnée, qui soulève les montagnes. Sait-on l’amas de besogne qu’on entasse, lorsqu’on travaille deux heures seulement par jour, d’un travail utile, décisif, que jamais une paresse ni une fantaisie n’interrompt ? C’est le grain de blé qui emplit le sac, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le fleuve. Pierre à pierre, l’édifice monte, le monument grandit par-dessus les montagnes. Et c’était ainsi que ce petit homme malingre, enveloppé de couvertures et qui buvait tiède, sous peine de s’enrhumer, construisait la plus vaste des œuvres, par un prodige de méthode et d’adaptation personnelle en ne lui consacrant que les rares heures de santé intellectuelle, conquises par lui sur sa défaillance physique.

Le dîner fut très amical, très souriant. Dans toute la maison, le service était fait par des femmes, Sœurette trouvant le service des hommes trop tumultueux, trop brutal pour son frère. Le cocher et le palefrenier prenaient simplement des aides, à certains jours fixes de gros travaux. Et les servantes, choisies avec soin, d’air agréable, aux mains douces et adroites, ajoutaient à la paix heureuse de la tiède demeure, très fermée, où n’étaient reçus que quelques intimes. Il y avait, ce soir-là, pour le retour des maîtres, un potage gras, un barbillon de la