Page:Zola - Travail.djvu/153

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Mionne au beurre, un poulet rôti, une salade de légumes, des mets très simples.

« Vraiment, vous ne vous êtes pas trop ennuyé, depuis samedi ? demanda Sœurette à Luc, lorsqu’ils furent tous les trois à table, dans la petite salle à manger discrète.

— Mais non, je vous assure, répondit le jeune homme. D’ailleurs, vous ne sauriez croire combien j’ai été occupé. »

Et il leur conta d’abord sa soirée du samedi, la sourde révolte où il avait trouvé Beauclair, le pain volé par Nanet, l’arrestation de Lange, sa visite chez Bonnaire, victime de la grève. Mais, par un singulier scrupule, dont il s’étonna plus tard, il glissa sur sa rencontre avec Josine, il ne la nomma même pas.

« Les pauvres gens ! dit la jeune fille apitoyée. Cette affreuse grève les a réduits au pain et à l’eau ; et bienheureux encore ceux qui avaient du pain… Que faire ? Comment aller à leur secours ? L’aumône n’est qu’un infime soulagement, et vous ne sauriez croire combien je me suis désolée, pendant ces deux mois, de nous sentir d’une impuissance si radicale, nous les riches et les heureux. »

Elle était une humanitaire, une élève du grand-père Michon, le vieux docteur fouriériste et saint-simonien, qui, toute petite, la prenait sur ses genoux, pour lui conter de belles histoires qu’il inventait, des phalanstères fondés dans des îles heureuses, des villes où les hommes réalisaient tous leurs rêves de bonheur sous un éternel printemps.

« Que faire ? Que faire ? répéta-t-elle douloureusement, avec ses beaux yeux de tendresse et de pitié fixés sur Luc. Il faut pourtant faire quelque chose. »

Alors, Luc, gagné par son émotion, laissa échapper ce cri du cœur :

« Ah ! oui, il est temps, il faut agir. »

Mais Jordan hochait la tête. Lui, dans son existence