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Paris ; mais nous vivons ici dans une telle retraite, que les relations, peu à peu, ont presque cessé. Puis, il faut bien le dire, nos idées et nos habitudes sont trop différentes. Quant à Delaveau, c’est un garçon intelligent et actif, qui est tout à son affaire, comme je suis à la mienne. Et j’ajoute que j’ai la terreur de la belle société de Beauclair, à ce point que je lui ferme étroitement ma porte, ravi de l’indigner et de rester à l’écart, en fou dangereux. »

Sœurette se mit à rire.

« Martial exagère. Je reçois l’abbé Marle qui est un brave homme, ainsi que le docteur Novarre et l’instituteur Hermeline, dont la conversation m’intéresse. Et, s’il est vrai que nous en sommes à des rapports de simple courtoisie avec les hôtes de la Guerdache, je n’en garde pas moins une sincère amitié à Mme Boisgelin, si bonne, si charmante. »

Jordan se plaisait à la taquiner parfois.

« Dis alors que c’est moi qui fais fuir le monde, et que, si je n’étais pas là, tu ouvrirais la porte à deux battants.

— Mais sans doute ! cria-t-elle avec gaieté. La maison est ce que tu la désires. Veux-tu que je donne un grand bal, où j’inviterai le sous-préfet Châtelard, le maire Gourier, le président Gaume, le capitaine Jollivet, et les Mazelle, et les Boisgelin, et les Delaveau ?… Tu ouvriras le bal avec Mme Mazelle. »

Ils plaisantèrent encore, très heureux, ce soir-là, de leur retour au nid fraternel et de la présence de Luc. Puis, au dessert, la grosse question sérieuse fut enfin abordée. Les deux servantes, si muettes, si légères, s’en étaient allées, avec leurs souliers feutrés qui ne faisaient aucun bruit. Et la paisible salle à manger avait l’infinie douceur des intimités tendres, où les cœurs et les cerveaux s’ouvrent librement.