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LES QUATRE ÉVANGILES

Deux ouvriers venaient de sortir, deux compagnons puddleurs. Et le premier, celui qui était avec Bourron, avait sa veste de drap jetée sur l’épaule, âgé de vingt-six ans à peine, roux de cheveux et de barbe, plutôt de petite taille, mais de muscles solides, le nez recourbé, sous un front proéminent, les mâchoires dures et les pommettes saillantes, pourtant de rire agréable, ce qui en faisait un mâle à conquêtes. Tandis que Bourron, de cinq ans plus âgé, serré dans sa vieille veste de velours verdâtre, était un grand diable sec et maigre, dont la face chevaline, aux joues longues, au menton court, aux yeux de biais, exprimait la tranquille humeur d’un homme facile à vivre, toujours plié sous la domination de quelque camarade.

D’un coup d’œil, ce dernier avait aperçu la triste femme et l’enfant, de l’autre côté de la route, à l’angle du pont de bois ; et il donna un coup de coude au compagnon.

— Vois donc, Ragu. La Josine et Nanet sont là… Méfie-toi, si tu ne veux pas qu’ils t’embêtent. 

Ragu, rageur, serra les poings.

— Sacrée fille ! J’en ai assez, je l’ai fichue à la porte… Qu’elle me cramponne, tu vas voir ! 

Il semblait un peu ivre, comme la chose arrivait, les jours où dépassait il les trois litres, dont il disait avoir besoin pour que le brasier du four ne lui desséchât pas la peau. Et, dans cette demi-ivresse, il cédait surtout à la vantardise cruelle de montrer à un camarade comment il traitait les filles, quand il ne les aimait plus.

— Tu sais, je vas te la coller au mur. J’en ai assez ! 

Josine, avec Nanet dans ses jupes, s’était avancée doucement, peureusement. Mais elle s’arrêta, en voyant deux autres ouvriers aborder Ragu et Bourron. Ceux-là faisaient partie d’une équipe de nuit, ils arrivaient de Beauclair. Le plus âgé, Fauchard, un garçon de trente ans, qui en paraissait quarante, était un arracheur, ruiné