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TRAVAIL

déjà par le travail vorace, la face bouillie, les yeux brûlés, son grand corps cuit et comme noué par l’ardeur des fours à creusets, d’où il tirait le métal en fusion. L’autre, Fortuné, son beau-frère, un garçon de seize ans, à qui l’on en aurait donné à peine douze tant il était de chair pauvre, le visage maigre, les cheveux décolorés, semblait n’avoir plus grandi, hébété, mangé par sa besogne machinale de manœuvre, assis à la manette de mise en marche d’un marteau cingleur, dans l’ahurissement de la fumée et du vacarme qui l’aveuglait et l’assourdissait.

Fauchard avait au bras un vieux panier d’osier noir, et il s’était arrêté, pour demander aux deux autres, de sa voix sourde :

— Est-ce que vous avez passé ?

Il voulait savoir s’ils avaient passé à la caisse, s’ils venaient de toucher une avance. Et, lorsque Ragu, sans répondre, eut simplement tapé sur sa poche, où des pièces de cent sous sonnèrent, il eut un geste d’attente désespérée.

— Tonnerre de bon Dieu ! dire qu’il faut que je me serre le ventre jusqu’à demain matin, et que, cette nuit, je vais encore crever de soif, à moins que ma femme, tout à l’heure, ne fasse le miracle de m’apporter ma ration !

Sa ration, à lui, était de quatre litres par journée ou par nuit de travail, et il disait que ça suffisait bien juste à lui humecter le corps tellement les fours lui tiraient l’eau et le sang de la chair. Il avait eu un regard désolé sur son panier vide, où ne ballottait qu’un morceau de pain. Quand il n’avait pas ses quatre litres, c’était la fin de tout, l’agonie noire dans le travail écrasant, devenu impossible.

— Bah ! dit complaisamment Bourron, ta femme ne va pas te lâcher, il n’y a pas sa pareille pour décrocher le crédit.