Page:Zola - Travail.djvu/198

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« Ah ! c’est vous, monsieur Jordan, s’écria Lange, en se présentant à son tour. Figurez-vous, depuis l’aventure de l’autre soir, la Nu-pieds s’imagine sans cesse qu’on vient m’arrêter. Et je crois bien que, si quelque argousin se présentait, il ne sortirait pas entier de ses griffes… Vous venez voir mes nouvelles briques réfractaires. Tenez ! les voici, Je vous en dirai la composition. »

Luc reconnaissait parfaitement le petit homme, fruste et noueux, qu’il avait entrevu dans les ténèbres de la rue de Brias, annonçant l’inévitable catastrophe finale, jetant l’anathème à la ville de Beauclair corrompue, condamnée pour ses crimes. Seulement, il s’étonnait, à le détailler, de son front haut, noyé sous la broussaille noire des cheveux, de ses yeux vifs, luisant d’une intelligence que des gammes brusques encoléraient. Et, surtout, sous l’enveloppe mal dégrossie, sous la violence apparente, il était surpris de sentir un contemplatif, un rêveur très doux, un simple poète rustique, qui dans l’absolu de son idée de justice, en venait à vouloir faire sauter le vieux monde coupable.

Jordan, après avoir présenté Luc comme un ingénieur de ses amis, pria Lange de lui montrer ce qu’il appelait son musée, en riant.

« Si ça peut intéresser monsieur… Ce ne sont que des amusements, des machines que je cuis pour me distraire, tenez ! toute cette terraille, sous ce hangar… Voyez ça, pendant que je vais expliquer mes briques à M. Jordan. »

L’étonnement de Luc augmenta. Il y avait, sous le hangar, des bonshommes de faïence, des vases, des pots, des plats, de formes et de colorations singulières, qui, tout en dénotant une grande ignorance, étaient délicieux d’originale naïveté. Les hasards du feu s’y montraient superbes, des émaux éclataient avec une richesse inouïe de tons. Mais, surtout, ce qui le frappait, dans la poterie courante