Page:Zola - Travail.djvu/199

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que Lange fabriquait pour sa clientèle ordinaire des marchés et des foires, la vaisselle, les marmites, les cruches les terrines, c’était l’élégance des formes, le charme pur des colorations toute une floraison heureuse du génie populaire. Il semblait que le potier eût tiré ce génie de sa race, que ces œuvres, où passait l’âme du peuple, naissaient naturellement de ses gros doigts comme s’il eût retrouvé d’instinct les moules primitifs, une beauté pratique admirable. Et le chef-d’œuvre était chaque fois réalisé, l’objet fait pour son usage, et dès lors d’une vérité simple d’une grâce vivante.

Lorsque Lange revint, avec Jordan, qui lui avait commandé quelques centaines de briques, pour expérimenter un nouveau four électrique, il reçut d’un air souriant les félicitations de Luc, qui s’émerveillait de la gaieté de ces faïences, si légères, si fleuries de pourpre et d’azur, au grand soleil.

« Oui, oui, ça met des coquelicots et des bluets dans les maisons… J’ai toujours pensé qu’on devrait en décorer les toits et les façades. Ça ne coûterait pas bien cher si les marchands ne volaient plus et vous verriez comme une ville serait aimable aux yeux, un vrai bouquet dans de la verdure… Mais il n’y a rien à faire avec les sales bourgeois d’aujourd’hui. » Et il retomba tout de suite à sa passion sectaire, il se lança dans les idées d’anarchie extrême, qu’il tenait de quelques brochures, venues et restées en ses mains, par il ne savait lui-même quel hasard. Il fallait d’abord tout détruire, s’emparer révolutionnairement de tout. Le salut ne serait que dans la destruction totale de l’autorité, car s’il restait un seul pouvoir debout, le plus infime, il suffirait à la reconstruction de l’édifice entier d’iniquité et de tyrannie. Ensuite, la commune libre pourrait s’établir, en dehors de tout gouvernement, grâce à l’entente des groupes sans cesse variés, continuellement modifiés,