Page:Zola - Travail.djvu/201

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de voler les acheteurs. Et j’ai encore le temps de m’amuser, quand ça me plaît, à cuire ces bonshommes de faïence, ces pots, ces plaques décorées, dont les couleurs vives m’égaient les yeux… Ah ! non, nous ne nous plaignons pas, nous sommes heureux de vivre, quand le soleil nous met en fête, n’est-ce pas, la Nu-Pieds ? »

Elle s’était approchée, dans la demi-nudité du travail, les mains toutes roses d’un pot qu’elle venait d’enlever du four. Et elle souriait divinement en regardant l’homme, le dieu dont elle s’était faite la servante, à qui elle se donnait corps et âme, en un continuel cadeau.

« Ça n’empêche, reprit Lange, qu’il y a trop de pauvres bougres qui souffrent, et qu’il faudra faire sauter Beauclair, un de ces quatre matins, pour qu’on se décide à le rebâtir proprement. Seule, la propagande par le fait, la bombe peut réveiller le peuple… Et que diriez-vous de cela ? J’ai ici tout ce qu’il faut pour préparer deux ou trois douzaines de bombes, d’une extraordinaire puissance. Alors, un beau jour, je pars avec ma voiture, que je tire, et que pousse la Nu-Pieds. Elle est lourde encore, lorsqu’elle est chargée de poterie, et qu’il faut la traîner par les mauvais chemins des villages, de marché en marché. Ça va bien qu’on se repose sous les arbres, aux endroits où il y a des sources… Seulement, ce jour-là, nous ne quittons pas Beauclair, nous nous promenons par toutes les rues, et il y a une bombe cachée dans chaque marmite, nous en déposons une à la sous-préfecture, une autre à la mairie, une autre au tribunal, une autre à la prison, une autre à l’église, enfin partout où se trouve une autorité à détruire. Les mèches brûlent, tout ça couve le temps nécessaire. Puis, tout d’un coup, Beauclair santé, une effroyable éruption de volcan le brûle et l’emporte… Hein ? qu’en pensez-vous, de ma petite promenade, avec ma voiture, de ma petite distribution