Page:Zola - Travail.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme on apprend à respirer, à marcher. Le travail est devenu la fonction de mon être, le jeu naturel et nécessaire de mes membres et de mes organes, le but et le moyen de ma vie. J’ai vécu parce que j’ai travaillé, un équilibre s’est fait entre le monde et moi, je lui ai rendu en œuvres ce qu’il m’apportait en sensations, et je crois que toute la santé est là, des échanges bien réglés, une adaptation parfaite de l’organisme au milieu… Et, tout fluet que je suis, je vivrai très vieux, c’est certain, du moment que je suis une petite machine montée avec soin et qui fonctionne logiquement. »

Luc s’était arrêté, dans sa marche lente. Comme Sœurette, il écoutait avec une attention passionnée.

« Mais ce n’est là que la santé des êtres, une bonne hygiène pour bien vivre, continua Jordan. Le travail est la vie elle-même, la vie est un continuel travail des forces chimiques et mécaniques. Depuis le premier atome qui s’est mis en branle pour s’unir aux atomes voisins, la grande besogne créatrice n’a point cessé, et cette création qui continue, qui continuera toujours, est comme la tâche même de l’éternité, l’œuvre universelle à laquelle nous venons tous apporter notre pierre. L’univers n’est-il pas un immense atelier ou l’on ne chôme jamais, où les infiniment petits font chaque jour un labeur géant, où la matière agit, fabrique, enfante sans relâche, depuis les simples ferments jusqu’aux créatures les plus parfaites ? Les champs qui se couvrent de moissons travaillent, les forêts dans leur poussée lente travaillent, les fleuves ruisselant le long des vallées travaillent, les mers roulant leurs flots d’un continent à un autre travaillent, les mondes emportés par le rythme de la gravitation au travers de l’infini travaillent. Il n’est pas un être, pas une chose qui puisse s’immobiliser dans l’oisiveté, tout se trouve entraîné, mis à l’ouvrage, forcé de faire sa part de l’œuvre commune. Quiconque ne travaille pas disparaît