Page:Zola - Travail.djvu/214

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— Seulement, mon brave ami, reprit Jordan qui souriait, vous êtes bel et bien un anarchiste, tout évolutionniste que vous vous croyez ; et vous avez bien raison de dire que c’est par la formule de Fourier qu’on commence et que c’est par l’homme libre dans la commune libre qu’on finit. »

Luc lui-même s’était mis à rire.

« Commençons toujours, nous verrons bien où la logique nous mènera. »

Songeur, Jordan ne semblait plus l’entendre. En lui, le savant cloîtré dans son laboratoire venait d’être remué profondément ; et, s’il doutait encore qu’on pût hâter la marche de l’humanité, il ne niait plus l’utilité de l’effort.

« Sans doute, continua-t-il avec lenteur, l’initiative individuelle est toute-puissante. Pour déterminer les faits, il faut toujours un homme qui veuille et qui agisse, un rebelle de génie et de pensée libre qui apporte la nouvelle vérité… Dans les catastrophes, quand le salut est de couper un câble, de fendre une poutre, il n’y a de nécessaire qu’un homme et qu’une hache. La volonté est tout, le sauveur est celui qui abat la hache… Rien ne résiste, les montagnes s’écroulent et les mers se retirent, devant une individualité qui agit.

C’était bien cela, Luc retrouvait dans ces paroles le foyer de volonté et de certitude intérieures dont il était embrasé. Il ne savait encore quel génie il apportait, mais c’était en lui comme une force amassée de loin, la révolte contre toute l’iniquité séculaire l’ardent besoin de faire enfin justice. Il était d’intelligence libérée, il n’acceptait que les faits démontrés scientifiquement. Il était seul, il voulait agir seul, il mettait toute sa foi dans l’action. Il était l’homme qui ose, et cela suffirait, sa mission serait remplie.

Un silence régna, et Jordan finit par répondre, avec un geste amical d’abandon :