Page:Zola - Travail.djvu/215

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« Je vous l’ai dit, il est des heures de lassitude où je donnerais à Delaveau toute l’exploitation, et le haut fourneau, et la mine, et les terrains, pour en être débarrassé, de façon à me livrer en paix à mes études, à mes expériences… Prenez-les donc, je préfère les donner à vous, qui croyez pouvoir en faire un bon usage. Tout ce que je vous demande, c’est de me délivrer complètement, c’est de me laisser dans mon coin travailler, achever mon œuvre, sans jamais me reparler de ces choses. »

Luc le regardait de ses yeux étincelants, où luisaient toute sa gratitude, toute sa tendresse. Puis, sans hésitation aucune, l’air certain de la réponse :

« Ce n’est pas tout, mon ami, il faut que votre grand cœur fasse davantage. Je ne puis rien entreprendre aujourd’hui sans argent, j’ai besoin de cinq cent mille francs, pour créer l’usine que je rêve, où je réorganiserai le travail, et qui sera comme le fondement de la Cité future… Et j’ai la conviction de vous apporter une bonne affaire, puisque votre capital entre dans l’association et qu’il vous assurera une large part des bénéfices. »

Puis, comme Jordan voulait l’interrompre :

« Oui, je sais, vous ne désirez pas devenir plus riche. Mais, pourtant, il faut bien que vous viviez ; et, si vous me donnez votre argent, je veux assurer votre existence matérielle, de façon que rien ne trouble jamais plus votre paix de grand travailleur. »

Le silence recommença, grave, ému, dans la vaste salle, où tant de travail germait déjà, pour les moissons prochaines. La décision à prendre était si grosse d’avenir, qu’elle mettait comme un frisson religieux, dans l’attente auguste de ce qui allait être.

« Vous êtes une âme de renoncement et de bienfait, dit encore Luc. Ne me l’avez-vous pas appris hier ? ces découvertes que vous poursuivez, ces fours électriques qui doivent réduire l’effort humain, enrichir les hommes