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Page:Zola - Travail.djvu/229

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la vraie justice, mais tout de même nous voilà en route.  »

Ragu continuait de ricaner  ; et le besoin lui vint de satisfaire une autre de ses haines, car, s’il plaisantait la Crêcherie, il parlait méchamment de l’Abîme, d’un air de rancune féroce.

«  Et le Delaveau, quelle tête fait-il, cet animal-là  ? Ce qui m’amuse, c’est que ça doit l’embêter rudement, cette nouvelle usine qu’on a plantée près de la sienne, et qui a l’air de vouloir faire de bonnes affaires… Il rage, hein  ?   »

Fauchard eut un geste vague.

«  Bien sûr qu’il doit rager, mais ça ne se voit pas trop… Et puis, tu sais, moi, je ne sais pas, j’ai assez d’embêtement, sans m’occuper de celui des autres… J’ai entendu raconter qu’il s’en fichait, de votre usine et de la concurrence. Il dit, comme ça, qu’il aura toujours des canons et des obus à fabriquer, parce que les hommes sont trop bêtes et qu’ils se massacreront toujours.  »

Luc, qui revenait de la halle de la grande fonderie, entendit ces paroles. Depuis trois ans, depuis le jour où il avait décidé Jordan à garder le haut fourneau et à créer des aciéries et des forges, il savait qu’il avait un ennemi en Delaveau. Le coup était rude pour ce dernier, qui espérait acheter la Crêcherie à bon compte, avec de longues facilités de paiement, et qui la voyait passer aux mains d’un jeune audacieux, plein d’intelligence et d’activité, résolu à bouleverser le monde, d’une telle vigueur créatrice, qu’il débutait en faisant sortir du sol un embryon de ville. Cependant, après la colère de la première surprise, Delaveau s’était senti quand même rempli de confiance. Il se renfermerait dans la fabrication des canons et des obus, où les bénéfices étaient considérables et où il ne craignait aucune concurrence. L’annonce que l’usine voisine allait reprendre les rails et les charpentes l’avait