Page:Zola - Travail.djvu/230

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d’abord égayé d’une joie ironique, dans l’ignorance où il était de l’exploitation nouvelle de la mine. Puis, lorsqu’il avait compris, devant les gros gains que permettait le minerai traité chimiquement, il s’était montré beau joueur, il avait déclaré à qui voulait l’entendre qu’il y avait place pour toutes les industries sous le soleil, et qu’il laissait bien volontiers les charpentes et les rails à son heureux voisin, si ce dernier lui laissait les obus et les canons. La paix n’était donc pas troublée en apparence, les rapports restaient froids et polis. Mais, au fond de Delaveau, veillait une sourde inquiétude, la peur de ce foyer de juste et libre travail, si proche, dont la flamme pouvait gagner ses halles et ses équipes. Et c’était encore un autre malaise, la sensation inavouée que peu à peu de vieux échafaudages craquaient sous lui, qu’il y avait des causes de pourriture dont il n’était pas le maître, et que, le jour où la force du capital viendrait à lui manquer, tout l’édifice s’écraserait par terre, sans qu’il pût le soutenir davantage de ses bras entêtés et vigoureux.

Dans cette guerre inévitable, de jour en jour plus rude, qui s’était engagée entre la Crêcherie et l’Abîme, et qui ne pouvait se terminer que par l’écrasement de l’une des deux usines, Luc ne s’attendrissait point sur les Delaveau. S’il avait pour l’homme de l’estime, quand il le voyait si âpre au travail, si brave à défendre ses idées, il méprisait la femme, Fernande, il en avait même une sorte de terreur, en devinant chez elle toute une terrible force de corruption et de destruction. L’aventure mauvaise qu’il avait surprise à la Guerdache, cette conquête impérieuse de Boisgelin, pauvre et bel homme dont la fortune était en train de fondre aux mains de la dévoratrice, l’emplissait d’une inquiétude croissante dans la prévision des drames futurs. Et c’était vers la bonne et douce Suzanne que toute son anxieuse tendresse allait, car elle était la