Page:Zola - Travail.djvu/253

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ne marchât pas, qu’on n’eût rien à toucher, le jour du partage des bénéfices. Ainsi, depuis deux mois, les plus mauvais bruits couraient, on craignait, cette année-là, d’avoir à se serrer le ventre, à cause de l’achat de machines nouvelles. Sans compter que les magasins coopératifs fonctionnaient souvent mal  : on vous envoyait parfois des pommes de terre, quand vous aviez demandé du pétrole, ou bien on vous oubliait, vous deviez retourner trois fois au bureau de distribution, avant d’être servi. Et il se moquait, et il se fâchait, il traitait la Crêcherie de sale baraque, d’où il espérait bien filer, dès qu’il le pourrait.

Un silence pénible se fit. Luc était devenu sombre, car il y avait quelque vérité au fond de ces récriminations. C’étaient là les grincements inévitables de la machine neuve encore. Et, surtout, les bruits qu’on faisait courir, les difficultés de la présente année, l’affectaient d’autant plus, qu’il craignait d’être en effet forcé de demander certains sacrifices aux ouvriers, pour ne pas compromettre la prospérité de la maison.

«  Et Bourron crie avec Ragu, n’est-ce pas  ? demanda-t-il. Mais vous n’avez jamais entendu Bonnaire se plaindre  ?   » D’un signe de tête, Josine répondait négativement, lorsque, par la fenêtre ouverte, on entendit les voix des trois femmes restées sur le trottoir. Ce devait être la Toupe qui s’oubliait, qui glapissait, dans son continuel besoin de s’emporter et de mordre. Si Bonnaire se taisait, en homme réfléchi, dont la raison consentait aux longues expériences, sa femme suffisait pour ameuter toutes les commères du petit bourg naissant. Et Luc la revit désolant la Fauchard, annonçant la ruine prochaine de la Crêcherie.

«  Alors, Josine, reprit-il lentement, vous n’êtes pas heureuse  ?   »