Page:Zola - Travail.djvu/273

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n’a jamais été mon plaisir. Mais c’est vrai, je fournis des idées à Lebleu, simplement des notes, des bouts de papier, sur lesquels il fait rédiger ça par je ne sais qui.  »

Et, comme le président continuait à faire une moue de désapprobation  :

«  Que voulez-vous  ? on se bat avec les armes qu’on a. Si ces sacrées fièvres de Madagascar ne m’avaient pas forcé à donner ma démission, ce serait à coups de sabre que je tomberais sur ces idéologues, qui sont en train de nous démolir, avec leurs utopies criminelles… Ah  ! bon Dieu  ! que cela me soulagerait donc d’en saigner une douzaine  !   »

Lucile, qui se taisait, petite et mignonne, avait son fin sourire énigmatique. Et elle coula sur son grand homme de mari, aux moustaches victorieuses, un regard d’une ironie si claire, que le président y lut sans peine le dédain amusé qu’elle avait pour ce sabreur, dont ses frêles mains roses jouaient comme une chatte d’une souris.

«  Oh  ! Charles, murmura-t-elle, ne sois pas méchant, ne dis pas des choses qui me font peur  !   »

Mais elle rencontra les yeux de son père, elle craignit de se sentir devinée, et elle ajouta de son air de vierge candide  :

«  N’est-ce pas, cher père, que Charles a tort de se brûler ainsi le sang  ? Nous devrions vivre tranquilles, dans notre coin, et le bon Dieu nous bénirait peut-être, en nous envoyant enfin un beau petit garçon.  »

Gaume vit bien qu’elle se moquait encore, tandis que s’évoquait l’image de l’amant, le petit clerc d’avoué blond, aux yeux bleus de fille, dont elle avait fait sa poupée vicieuse.

«  Tout cela est bien triste et bien cruel, conclut le président, sans préciser. Que résoudre, que faire, lorsque tous se trompent et se dévorent  ?   »