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Page:Zola - Travail.djvu/272

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plus sévère et plus triste, maniaque du droit, passant des heures à motiver ses jugements avec une minutie croissante. On l’avait, disait-on, entendu sangloter, certains soirs, comme si tout croulait sous lui, même la justice à laquelle il se cramponnait désespérément, espérant encore se sauver sur cette dernière épave. Et, dans le douloureux souvenir du drame intime qui l’écrasait, la trahison et la mort violente de sa femme, il devait surtout souffrir de voir ce drame renaître, sa fille adorée, cette Lucile de visage si virginal, de ressemblance si frappante avec sa mère, tromper son mari, comme celle-ci l’avait trompé lui-même. Elle n’était pas depuis six mois la femme du capitaine Jollivet qu’elle le trahissait, se donnait au petit clerc d’un avoué, un grand gamin blond, plus jeune qu’elle, aux yeux bleus de fille. Le président, qui surprit l’intrigue, en souffrit affreusement, comme d’un recommencement de la trahison, dont la plaie saignait toujours en son cœur. Il recula devant une explication douloureuse, il aurait cru revivre l’affreuse journée où sa femme s’était tuée devant lui, en confessant sa faute. Mais quel abominable monde où tout ce qu’il avait aimé l’avait trahi  ! Et comment croire à une justice, lorsque c’étaient les plus belles et les meilleures qui faisaient tant souffrir  ?

Songeur et morose, le président Gaume était assis dans son cabinet, où il venait d’achever la lecture du Journal de Beauclair, lorsque parurent le capitaine et Lucile. Un article d’attaque violente contre la Crêcherie, qu’il avait lu, lui paraissait sot, maladroit et grossier. Et il le dit tranquillement.

«  Ce n’est pas vous, j’espère, mon brave Jollivet, qui écrivez de pareils articles, comme le bruit en court. Ça ne sert à rien, d’injurier ses adversaires.  »

Le capitaine eut un geste embarrassé.

«  Oh  ! écrire, vous savez bien que je n’écris pas, ça