Page:Zola - Travail.djvu/293

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il les excusait de le haïr, dans leur terreur d’avoir à partager leurs jouissances égoïstes. Il les excusait aussi, ces boutiquiers qui se croyaient ruinés par lui, lorsqu’il rêvait simplement un meilleur emploi des forces sociales, pour qu’il n’y eût plus une perte inutile de la fortune publique. Même il les excusait, ces ouvriers qu’il était venu sauver de la misère, pour lesquels il bâtissait si laborieusement sa ville de justice, et qui le huaient, qui l’insultaient, tant on avait obscurci leur cerveau et refroidi leur cœur. C’était la foule ignorante, se révoltant contre celui qui veut son bien, refusant de quitter le lit de servitude où elle agonise s’y enfonçant dans la faim, dans l’ordure séculaires, en fermant les oreilles et les yeux au bonheur qui naît. Seulement s’il les excusait tous, en son humanité douloureuse, combien il saignait de voir, parmi les plus injurieux, ces travailleurs de l’usine et de l’atelier dont il s’efforçait de faire les nobles, les libres, les heureux de demain  !

Luc montait toujours la rue de Brias ne finissait pas, et la meute déchaînée avait encore grossi, les cris ne cessaient plus.

«  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  !   »

Un instant, il s’arrêta, se retourna, regarda ces gens, pour ne pas leur laisser croire qu’il fuyait. Et, justement, comme il y avait là des tas de pierres, devant une maison en construction, un homme se baissa, ramassa un caillou, qu’il lui jeta. Aussitôt, d’autres se baissèrent, les cailloux se mirent à pleuvoir, au milieu d’un redoublement de menaces.

«  À mort  ! à mort  ! le voleur, l’empoisonneur, à mort  !   »

Maintenant, on le lapidait. Il n’eut pas un geste, il reprit sa marche, il acheva de monter son calvaire. Ses mains étaient vides, sans autre arme que la canne légère, qu’il mit sous son bras. Et il restait très calme, avec cette idée que sa mission le rendait invulnérable, s’il devait