Page:Zola - Travail.djvu/297

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Et elle conta que Ragu, lorsqu’il avait appris ce qui s’était passé dans la rue de Brias, la belle conduite d’ignominie faite au patron, s’en était allé au cabaret de Caffiaux, en débauchant Bourron et d’autres camarades. Il venait seulement de rentrer, ivre, criant qu’il en avait assez, de l’orgeat de la Crêcherie, qu’il ne resterait pas un jour de plus dans une boîte où l’on s’embêtait à crever, ou l’on n’avait pas seulement le droit de boire un coup de trop. Puis, après s’être égayé, avec de sales paroles, il avait voulu la forcer à faire immédiatement leur malle, afin de filer dès le lendemain matin à l’Abîme, qui embauchait tous les ouvriers sortant de la Crêcherie. Et, comme elle voulait attendre, il avait fini par la battre et par la jeter dehors.

«  Moi, monsieur Luc, ça ne compte pas. Mais c’est vous, grand Dieu  ! c’est vous que l’on insulte, et à qui l’on veut faire tant de mal  ! … Ragu partira demain matin, rien ne le retiendra, et il emmènera certainement Bourron, ainsi que cinq ou six autres camarades, qu’il ne m’a pas nommés… Moi, que voulez-vous, faudra bien que je le suive, et tout ça me cause une si grosse peine, que j’ai eu le besoin de vous le dire tout de suite, dans la crainte de ne jamais vous revoir.  »

Il continuait à la regarder, un nouveau flot d’amertume noyait son cœur. Le désastre était-il donc plus grand qu’il ne croyait. Voilà, maintenant, ses ouvriers qui le quittaient, qui retournaient à leur dure et sale misère d’autrefois, dans la nostalgie de l’enfer d’où il s’efforçait si laborieusement de les tirer  ! En quatre années, il n’avait rien conquis de leur intelligence ni de leur affection. Et le pis était que Josine n’était pas plus heureuse, qu’elle lui revenait, comme au premier jour, outragée, frappée, jetée à la rue. Rien n’était donc fait encore, tout restait à faire, car Josine n’était-elle pas le peuple souffrant  ? Il n’avait obéi au besoin d’agir que le soir où il l’avait