Page:Zola - Travail.djvu/303

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peu honteux, lorsqu’il découvrit qu’il ne mettait tant de chaleur à retenir Ragu que pour la retenir elle-même. La pensée qu’elle retournait dans ce cloaque du vieux Beauclair, aux mains de cet homme, qui, repris par l’alcool, continuerait à la violenter, lui était insupportable. Il la revoyait rue des Trois-Lunes, dans une chambre immonde, en proie à la misère sordide et meurtrière  ; et il n’était plus là pour veiller sur elle, et elle était sienne maintenant, il aurait voulu ne pas la quitter d’une minute, afin d’assurer sa vie heureuse. La nuit suivante, elle revint le voir, il y eut entre eux une scène déchirante, des larmes, des serments, des projets fous. La sagesse pourtant l’emporta, il fallait accepter les faits, s’ils ne voulaient compromettre l’œuvre, qui devenait commune. Josine suivrait Ragu, ce qu’elle ne pouvait refuser de faire, sans soulever un scandale inquiétant  ; tandis que Luc à la Crêcherie continuerait sa bataille pour le bonheur de tous, avec la conviction que la victoire, un jour, les réunirait. Ils étaient bien forts, puisqu’ils avaient avec eux l’amour invincible. Elle promit tendrement de revenir le visiter. Mais, quand même, quel déchirement, lorsqu’elle lui fit ses adieux, et que, le lendemain, il la vit quitter la Crêcherie, derrière Ragu, qui, aidé de Bourron, poussait dans une petite voiture le maigre déménagement  !

Trois jours plus tard, Bourron suivit Ragu, qu’il retrouvait chaque soir chez Caffiaux. Le camarade le plaisantait tellement, sur l’orgeat de la maison commune, qu’il crut accomplir un acte d’homme libre, en revenant, lui aussi, habiter la rue des Trois-Lunes. Sa femme, Babette, après avoir tenté de se mettre en travers d’une pareille bêtise, finit par s’y résigner, avec sa gaieté habituelle. Bah  ! ça irait tout de même très bien, son mari était au fond un brave homme, qui verrait clair tôt ou tard. Et elle riait, et elle déménagea, en disant au revoir