Page:Zola - Travail.djvu/304

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aux voisines, car elle ne pouvait pas croire qu’elle ne reviendrait pas dans ces jolis jardins, où elle se plaisait beaucoup. Surtout, elle rêvait d’y ramener sa fille Marthe et son fils Sébastien, qui faisaient de grands progrès à l’école. Et comme Sœurette parla de les y garder, elle y consentit.

Mais ce qui aggrava la situation, ce fut que d’autres ouvriers cédèrent à la contagion du mauvais exemple, en s’en allant, comme s’en étaient allés Bourron et Ragu. La foi leur manquait autant que l’amour, et Luc entrait en lutte avec les mauvaises volontés humaines, les lâchetés, les défections, où l’on se heurte dès qu’on travaille au bonheur des autres. Chez Bonnaire lui-même, si raisonnable, si loyal, il sentit un sourd ébranlement. Le ménage était troublé par les querelles quotidiennes de la Toupe, dont la vanité ne se trouvait pas satisfaite  ; car elle n’avait encore pu s’acheter la robe de soie et la montre, son rêve de coquetterie tant caressé. Puis, les idées d’égalité, de communauté, la fâchaient, dans son regret de n’être pas née princesse. Elle emplissait la maison d’un éternel ouragan, rationnait de tabac le père Lunot avec plus d’âpreté, bousculait les enfants, Lucien et Antoinette. Deux autres lui étaient encore venus, Zoé et Séverin, et c’était aussi là un désastre qu’elle ne pardonnait pas à Bonnaire, les lui reprochant sans trêve, comme s’ils étaient les fruits de ses idées subversives, dont elle se disait la victime. Bonnaire gardait un grand calme, habitué à ces tempêtes, qui l’attristaient simplement. Il ne répondait même pas, lorsqu’elle lui criait qu’il était une pauvre bête, une dupe, et qu’il laisserait les os à la Crêcherie.

Pourtant, Luc s’apercevait bien que Bonnaire n’était pas de tout son cœur avec lui. Jamais il ne se permettait un blâme, il restait l’ouvrier actif, exact, consciencieux, qui donnait l’exemple aux camarades. Et il y avait, malgré