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Page:Zola - Travail.djvu/306

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— Il faut que le peuple s’empare tout de suite des outils du travail, i1 faut qu’il dépossède la classe bourgeoise, en disposant lui-même du capital, pour réorganiser le travail universel et obligatoire.

Et Bonnaire, une fois de plus, exposa ses idées. Il était resté tout entier au collectivisme, et Luc qui l’écoutait douloureusement, s’étonnait de n’avoir rien gagné sur cet esprit réfléchi, mais un peu obtus. Tel qu’il l’avait entendu parler rue des Trois-Lunes, la nuit où il avait quitté l’Abîme, tel il le retrouvait, avec la même conception révolutionnaire, sans que les cinq années d’expérience communiste, passées à la Crêcherie, eussent modifié sa foi. L’évolution était trop lente, le progrès par la seule association demanderait trop d’années encore, et il se lassait, et il ne croyait qu’en la révolution immédiate et violente.

«  On ne nous donnera jamais ce que nous ne prendrons pas, dit-il en concluant. Il faut tout prendre pour tout avoir.  »

Il y eut un silence. Le soleil s’était couché, les équipes de nuit avaient repris la besogne, au fond des ateliers retentissants. Et, dans cet effort continu du travail, Luc se sentait envahi d’une indicible tristesse, en voyant que son œuvre allait aussi être compromise par la hâte des meilleurs à réaliser leur idéal social. N’était-ce pas souvent la bataille furieuse des idées qui entravait et retardait la réalisation des faits  ?

«  Je ne veux pas discuter de nouveau avec vous, mon ami, reprit-il enfin. Je ne crois pas qu’une révolution décisive soit possible et bonne, dans les circonstances où nous sommes. Et je reste convaincu que l’association, la coopération, aidées des syndicats, sont le lent chemin préférable, qui finira par nous conduire à la Cité promise… Nous avons souvent causé de ces choses, sans tout à fait nous entendre. À quoi bon recommencer et nous attrister inutilement  ? …