Page:Zola - Travail.djvu/315

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«  Si ta sœur n’avait pas lu des livres et ne s’était pas occupée de ce qui se passait là-bas, elle serait encore avec nous… Ah  ! cette ville nouvelle, cette ville maudite qui nous l’a prise  !   »

Cette fois, son poing ne s’abattit pas sur la table, il se tendit par la porte ouverte, dans la nuit noire, vers la Crêcherie, dont les lumières braisillaient comme des étoiles, en bas de la rampe rocheuse.

Petit-Da ne répondait plus, respectueux, la conscience troublée d’ailleurs, car il savait son père fâché contre lui, depuis qu’il l’avait rencontré avec Honorine, la fille du cabaretier Caffiaux. Honorine petite, brune et fine, avec un gai visage éveillé, s’était passionnée pour ce géant si doux, qui la trouvait lui-même délicieuse. Entre le père et le fils, dans l’explication de ce soir-là, c’était d’Honorine qu’il s’agissait au fond. Aussi l’attaque directe que celui-ci attendait, finit-elle par se produire.

«  Et toi, demanda brusquement Morfain, quand vas-tu me quitter  ?   »

Cette idée de séparation parut bouleverser Petit-Da.

«  Pourquoi donc, père, veux-tu que je te quitte  ?

— Oh  ! lorsqu’il y a une fille en jeu, il ne peut en résulter que des brouilles et que des ruines… Et puis, laquelle as-tu choisie  ? Est-ce qu’on voudra te la donner seulement, est-ce que c’est raisonnable, des mariages pareils, qui confondent les classes, un vrai monde à l’envers, la fin de tout  ? … J’ai trop vécu.  »

Doucement, tendrement, le fils s’efforça d’apaiser le père. Il ne reniait pas son amour pour Honorine. Seulement, il en parlait en garçon raisonnable, décidé à patienter tant qu’il le faudrait. On verrait plus tard. Quel mal cela faisait-il, lorsqu’ils se rencontraient la jeune fille et lui, qu’ils se dissent un bonjour amical  ? Si l’on n’était pas du même monde, cela n’empêchait pas qu’on pût se plaire. Et quand même les mondes se mêleraient