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Page:Zola - Travail.djvu/324

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que la terrasse dominait. Et, juste à ce moment, la porte du pavillon ouvrant sur la route s’étant entrebâillée à peine, elle vit sortir doucement une femme, une ombre légère de femme, qui s’effaça presque aussitôt dans le brouillard rose du matin. Mais elle l’avait reconnue, si fine, si souple, d’un charme si pénétrant, telle qu’une vision d’infinie tendresse, fuyant au plein jour. C’était Josine qui sortait de chez Luc, et pour qu’elle en sortît de la sorte au lever du soleil, c’était donc qu’elle y avait passé la nuit.

Depuis que Ragu avait quitté la Crêcherie, Josine était ainsi revenue trouver Luc quelquefois, les nuits où elle était libre. Et cette nuit-là, elle était venue lui dire qu’elle ne reviendrait pas, dans la crainte d’être surprise, des voisines l’espionnant, guettant ses sorties. Puis l’idée de mentir, de se cacher, pour se donner à son dieu, finissait par lui être si pénible, qu’elle préférait attendre l’heure où elle clamerait son amour au grand soleil. Luc avait compris, s’était résigné. Mais quelle nuit de caresses, coupées de désespoirs, et quels adieux désolés, aux premières lueurs de l’aube  ! Ils s’étaient repris avec des baisers sans fin, ils avaient échangé tant de serments, que le jour était déjà clair, lorsqu’elle avait pu s’arracher de ses bras. Et, seules, les vapeurs matinales l’avaient voilée un peu à son départ.

Josine passant la nuit chez Luc, sortant de chez Luc, au lever du soleil  ! Cette brusque révélation retentissait en Sœurette avec un bruit de mortelle catastrophe. Elle s’était soudain arrêtée, clouée sur place, comme si la terre se fût ouverte devant ses pas. Un tel bouleversement l’agitait, un tel bruit d’orage montait à sa tête, que tout n’était plus en elle que confusion, sans une sensation nette, sans un raisonnement possible. Et elle ne continua pas son chemin, elle oublia qu’elle se rendait à la vacherie pour donner un ordre. Tout d’un coup, elle se