Page:Zola - Travail.djvu/323

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Il en avait apporté une touffe, et Sœurette la regardait sur la table, dans un vase, de nouveau souriante à cette floraison de charme et de parfum, gardant pourtant une lassitude attristée de la virulence que prenaient les querelles, à ses déjeuners du mardi. Bientôt, on ne pourrait plus se voir.

Alors seulement, Jordan sortit de sa songerie. Il n’avait cessé d’avoir l’air attentif, comme s’il écoutait. Mais il dit un mot, qui montra combien son esprit était loin.

«  Vous savez qu’en Amérique un savant électricien vient d’emmagasiner assez de chaleur solaire pour produire de l’électricité.  »

Lorsque Luc fut resté seul avec les Jordan, il y eut un grand silence. La pensée des pauvres hommes qui se déchiraient, qui s’accablaient, dans leur aveugle poursuite du bonheur, lui oppressait le cœur. À la longue, en voyant avec quelle peine on travaillait au bien commun, parmi les révoltes de ceux mêmes qu’on voulait sauver, il était pris parfois de découragements qu’il n’avouait pas encore, mais qui lui brisaient les membres et l’esprit, comme après les grosses fatigues inutiles. Un instant, sa volonté chavirait, sur le point d’être engloutie.

Et, ce jour-là, il eut encore son cri de détresse sentimentale.

«  Mais ils n’aiment pas  ! S’ils aimaient, tout serait fécondé, tout pousserait et triompherait sous le soleil  !   »

À quelques jours de là, un matin d’automne, de très bonne heure Sœurette reçut au cœur un coup affreux, dont la douleur inattendue lui causa une profonde angoisse. Elle était fort matinale, et elle allait donner des ordres à une vacherie qu’elle avait fait installer pour les enfants de sa crèche, lorsqu’elle eut l’idée, en suivant le mur en terrasse qui aboutissait au pavillon occupé par Luc, de jeter un coup d’œil sur la route des Combettes,