Page:Zola - Travail.djvu/326

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puisqu’elle aimait, puisqu’elle ne cesserait jamais d’aimer. Maintenant que son amour criait en elle, il lui déchirait le cœur, elle ne pourrait plus vivre, si son amour partagé ne l’apaisait d’un baume rafraîchissant. Et ce n’était toujours que confusion, elle se débattait dans des pensées indécises, dans des résolutions obscures, ainsi qu’une femme déjà mûre, restée enfant, jetée soudain aux réalités torturantes de la vie.

Longtemps elle dut s’anéantir ainsi, la face dans l’oreiller. Le soleil avait grandi, la matinée s’avançait, sans qu’elle trouvât une solution pratique, dans son émoi grandissant. Toujours revenait la question obsédante  : qu’allait-elle faire pour dire qu’elle aimait pour être aimée  ? Et, brusquement, l’idée de son frère lui vint c’était à son frère qu’elle devait se confier, puisque lui seul au monde la connaissait, savait bien que son cœur n’avait jamais menti. Il était un homme, il comprendrait sûrement, il lui enseignerait ce qu’on fait, quand on a le besoin d’être heureux. Tout de suite, sans raisonner davantage, elle sauta de son lit elle descendit au laboratoire, telle qu’une enfant qui a trouvé la solution à sa grosse peine.

Jordan, ce matin-là, venait de subir un échec désastreux. Depuis des mois, il croyait avoir trouvé le transport de la forcé électrique, dans des conditions parfaites de sûreté et d’économie. Il brûlait le charbon au sortir du puits, il amenait l’électricité sans déperdition aucune, ce qui abaissait le prix de revient d’une façon considérable. Le problème lui avait coûté quatre années de recherches, au milieu des continuels malaises de sa chétive personne. Il utilisait le mieux qu’il pouvait sa petite santé, dormant beaucoup, enveloppé dans ses couvertures, occupant avec méthode les rares heures qu’il conquérait ainsi sur la nature marâtre. Et il arrivait, en tirant le meilleur parti de l’instrument ingrat qu’était son