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Page:Zola - Travail.djvu/328

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L’amour, pourquoi l’amour  ? L’amour chez cette sœur adorée, qu’il avait toujours vue près de lui telle qu’un autre lui-même, cela le stupéfiait. Il n’avait jamais songé qu’elle pût aimer et qu’elle en fût malheureuse. C’était là un besoin qu’il ignorait, un monde dans lequel il n’était pas entré. Aussi son embarras devenait-il grand, si candide lui-même, d’une ignorance totale en cette matière.

«  Oh  ! dis-moi, frère, pourquoi Luc aime-t-il cette Josine, pourquoi n’est-ce pas moi qu’il aime  ?   »

Elle sanglotait maintenant, elle avait noué les bras autour de son cou, la tête sur son épaule, dans une désolation qui le désespérait. Mais que lui dire pour la renseigner, pour la consoler  ?

«  Je ne sais pas, moi, petite sœur, je ne sais pas. Sans doute il l’aime, parce qu’il aime. Il ne doit pas y avoir d’autre raison… Il t’aimerait, s’il t’avait aimée la première.  »

Et c’était bien cela. Luc aimait Josine parce qu’elle était l’amoureuse, la femme de charme et de passion, rencontrée dans la souffrance, éveillant toutes les tendresses du cœur. Et puis, elle avait la beauté, le frisson divin du désir, elle apportait la chair voluptueuse et féconde, par qui le monde s’éternise.

«  Mais, frère, il m’a connue avant elle, pourquoi ne m’a-t-il pas aimée la première  ?   »

Jordan, que ces questions précises embarrassaient de plus en plus, cherchait avec émoi, trouvait des réponses délicates et bonnes, dans sa naïveté.

«  C’est peut-être qu’il a vécu ici en ami, en frère. Il est devenu ton frère.  » Il la regardait, il ne lui disait pas tout cette fois, en la voyant, pareille à lui, si mince, si frêle, avec sa figure insignifiante. Elle n’était point l’amour, trop pâle, toujours vêtue de noir, l’air charmant, très doux et très bon,