Page:Zola - Travail.djvu/332

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Sœurette, ayant remarqué son trouble, eut la divine tendresse de s’inquiéter.

«  Est-ce que vous êtes souffrant, mon ami  ?

— Oui, je ne vais pas très bien, j’ai passé une matinée atroce… Depuis que je suis levé, je n’ai appris que des malheurs.  »

Elle n’insista pas, elle le regardait avec une anxiété croissante, en se demandant quelle pouvait être sa souffrance, à lui qui aimait et qui était aimé. Pour cacher un peu la mortelle émotion où elle était elle-même, elle s’était mise à sa petite table de travail, feignant de prendre des notes pour son frère  ; tandis que celui-ci s’allongeait de nouveau au fond de son fauteuil, l’air brisé.

«  Alors, mon bon Luc, dit-il, nous ne valons pas cher, ni les uns, ni les autres  ; car, si je me suis levé assez solide, j’ai eu, moi aussi, de telles contrariétés, que me voilà par terre.  »

Un instant Luc se promena, le visage sombre, sans prononcer une parole. Il allait et venait, s’arrêtant parfois devant la haute fenêtre, jetant un coup d’œil sur la Crêcherie, sur la ville naissante, dont les toitures s’étalaient devant lui. Puis, il ne put contenir le flot de son désespoir, il parla.

«  Mon ami, il faut pourtant que je vous dise… On n’a pas voulu vous troubler dans vos recherches, on vous a caché que nos affaires vont très mal, à la Crêcherie. Nos ouvriers nous quittent, la désunion et la révolte se sont mises parmi eux, à la suite des éternels malentendus de l’égoïsme et de la haine. Beauclair entier se soulève, les commerçants, les travailleurs eux-mêmes, dont nous gênons les habitudes, nous rendent la vie si dure, que notre situation devient chaque jour plus inquiétante… Enfin, je ne sais si les choses se sont trop assombries pour moi, ce matin, mais elles viennent de m’apparaître comme désespérées. Je nous vois perdus, et je ne puis