Page:Zola - Travail.djvu/335

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contrôle à totalement échoué, je me suis convaincu qu’il fallait recommencer tout. Ce sont des années de travail à reprendre… Vous comprenez, c’est ennuyeux, de se heurter ainsi à une défaite, lorsqu’on croit être certain de la victoire.

Sœurette s’était tournée vers lui, bouleversée d’apprendre ainsi cet échec qu’elle ignorait encore. De même, Luc, apitoyé dans sa propre désespérance, avait allongé la main, pour serrer la sienne, en une fraternelle sympathie. Et Jordan seul restait calme, avec son petit tremblement de fièvre habituel, lorsqu’il s’était surmené.

«  Alors, qu’est-ce que vous allez faire  ? demanda Luc.

— Ce que je vais faire, mon bon ami  ? mais je vais me remettre au travail… Demain, je recommencerai, je reprendrai mon œuvre au commencement, puisqu’elle est tout entière à reprendre. C’est bien simple, et il n’y a évidemment pas autre chose à faire… Vous entendez  ! jamais on n’abandonne une œuvre. S’il faut vingt années, trente années, s’il faut des vies entières, on les lui donne. Si l’on s’est trompé, on revient sur ses pas, on refait autant de fois qu’il le faut le chemin déjà parcouru. Les empêchement, les obstacles ne sont que les haltes, les difficultés inévitables de la route… Une œuvre, c’est un enfant sacré qu’il est criminel de ne pas mener à terme. Elle est notre sang nous n’avons pas le circuit de nous refuser à sa création, nous lui devons toute notre force, toute notre âme, notre chair et notre esprit. Comme la mère qui meurt parfois de la chère créature qu’elle enfante, nous devons être prêts à mourir de notre œuvre, si elle nous épuise… Et si elle ne nous a pas coûté la vie, eh bien  ! nous n’avons encore qu’une chose à faire, lorsqu’elle est achevée, vivante et forte  : c’est d’en recommencer une autre, et cela sans nous arrêter jamais,