Page:Zola - Travail.djvu/337

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si mal portant, n’était jamais entré dans son laboratoire, sans en éprouver un soulagement. Que de fois il s’était mis à la besogne les membres douloureux, le cœur en larmes et, chaque fois, le travail l’avait guéri. Ses incertitudes, ses rares découragements n’étaient venus que de ses heures de paresse. L’œuvre portait son créateur, elle ne lui devenait funeste, elle ne l’écrasait que le jour où lui-même l’abandonnait.

Brusquement, il se retourna vers Luc, il conclut en lui disant, avec son bon sourire  : «  Voyez-vous, mon ami, si vous laissez mourir la Crêcherie, vous mourrez de la Crêcherie. L’œuvre est notre vie même, il faut la vivre jusqu’au bout.  »

Luc s’était redressé, en un élan de tout son être. Ce qu’il venait d’entendre, cet acte de foi dans le travail, cet amour passionné de l’œuvre, le soulevait d’un souffle héroïque, le rendait à toute sa foi, à toute sa force. Il n’était tel, à ses heures de lassitude et de doute, que ce bain d’énergie qu’il accourait ainsi prendre près de son ami, de ce pauvre corps maladif, d’où émanait un pareil rayonnement de paix et de certitude. Chaque fois, le charme opérait, un flot de courage remontait en lui, il n’avait plus que l’impatience de se remettre à la lutte.

«  Ah  ! cria-t-il, vous avez raison, je suis un lâche, j’ai honte d’avoir désespéré. Le bonheur humain n’est que dans la glorification du travail, dans la réorganisation du travail sauveur. C’est lui qui fondera notre ville… Mais cet argent, tout cet argent qu’il va falloir risquer encore  !   »

Jordan, épuisé par la passion qu’il avait mise dans ses paroles, enveloppait plus étroitement ses épaules maigres. Et il dit simplement, d’un petit souffle las  :

«  Cet argent, je vous le donnerai… Nous ferons des économies, nous nous arrangerons toujours. Vous savez bien qu’il nous faut peu de chose, du lait, des œufs, des fruits.