Page:Zola - Travail.djvu/346

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avait cru un instant la première ébranlée, près de glisser à la ruine, mit tout son effort à la tenir debout. Il n’espérait pas de longtemps gagner du terrain, il voulait simplement ne pas en perdre  ; et il eut déjà un beau succès à rester stationnaire, vivant quand même, sous les coups qui l’accablaient de toutes parts. Mais quelle besogne formidable, quelle joyeuse bravoure au travail  ! C’était sans cesse l’apôtre d’une idée en son prodige. Il était partout à la fois, enflammant les ouvriers dans les halles de l’usine, resserrant les liens fraternels des grands et des petits dans la maison commune, veillant à la bonne administration dans les magasins. On ne voyait que lui par les avenues ensoleillées de la Cité naissante, au milieu des enfants et des femmes, aimant à jouer et à rire, en jeune père de ce petit peuple qui était le sien. Tout naissait grandissait, s’organisait à son geste, grâce à son génie, à sa fécondité de créateur, dont les deux mains ouvertes faisaient tomber des semences, partout où il passait. Et surtout le miracle, ce fut la conquête qu’il fit de ses ouvriers, parmi lesquels la discorde et la rébellion avaient souillé un moment. Bien que Bonnaire différât toujours d’opinion, il avait conquis l’affection de cet homme très brave, très bon, au point de trouver en lui le lieutenant le plus fidèle, le plus dévoué sans lequel certainement l’œuvre n’aurait pu s’accomplir. De même sa puissance d’amour avait agi sur tous les travailleurs, tous s’étaient peu à peu groupés, serrés autour de sa personne, à le sentir si tendre, si fraternel, ne vivant que pour le bonheur des autres, certain d’y trouver son propre bonheur. Le personnel de la Crêcherie devenait une grande famille, dont le lien se nouait de plus en plus étroit, chacun ayant fini par comprendre que c’était travailler à sa propre joie que de travailler à la joie de tous. En six mois, pas un ouvrier ne quitta la maison  ; et, si ceux qui étaient partis ne revenaient pas encore, ceux