Page:Zola - Travail.djvu/349

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maintenant le bilan annuel. Et que serait-ce, s’il fallait emprunter encore et toujours jusqu’au saut final dans le gouffre de la dette  ?

Vers ce temps, Delaveau essaya de faire entendre raison à Boisgelin. Lorsqu’il avait décidé ce dernier à lui confier les débris de sa fortune, il lui avait bien promis, s’il achetait l’Abîme, de lui servir de gros intérêts, qui lui permettraient de continuer sa vie luxueuse. Seulement, depuis que des difficultés se présentaient, il désirait le voir assez raisonnable pour réduire son train pendant quelque temps, avec la certitude de le reprendre et de l’élargir même, dès que la fortune redeviendrait propice. Si Boisgelin avait consenti à ne toucher que la moitié des bénéfices, cela aurait permis de constituer le fameux fonds de réserve, l’Abîme aurait traversé victorieusement les années mauvaises. Mais Delaveau le trouvait intraitable, exigeant tout, refusant de rien retrancher de ses réceptions, de ses chasses, de l’existence qu’il menait de plus en plus coûteuse. Des querelles même éclataient entre les deux cousins. Du moment que le capital menaçait de ne plus suer les intérêts attendus, que la chair à travail, les ouvriers ne suffiraient plus à entretenir l’oisif dans son luxe, le capitaliste accusait le directeur industriel de ne pas tenir ses promesses, s’il projetait de rogner ses rentes. Et Delaveau, irrité, désespéré de cette imbécile âpreté à la jouissance, ne soupçonnait toujours pas sa femme, Fernande derrière son bellâtre de cousin, la corruptrice, la décoratrice, celle pour qui tout l’argent était dépensé, en caprices et en folies. À la Guerdache, ce n’étaient que fêtes, Fernande goûtait là des revanches si délicieuses, se grisait de tels triomphes, qu’un arrêt dans sa joie lui aurait paru une déchéance. Elle exaspérait elle-même Boisgelin, elle lui racontait que son mari déclinait, ne faisait pas rendre à l’usine ce qu’il aurait pu en tirer, et, selon elle, la seule, la