Page:Zola - Travail.djvu/364

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Mais, quelques semaines plus tard, un hasard mit aux mains de Fernande le secret de Josine. Fernande connaissait Ragu, dont le retour à l’Abîme avait fait un éclat, et que, depuis lors, Delaveau affectait d’estimer, de pousser, l’ayant nommé maître puddleur, lui accordant des gratifications, bien que sa conduite fût exécrable. Aussi Fernande était-elle au courant du drame qui ravageait le ménage de Ragu. Celui-ci ne se gênait guère, lâchait tout haut d’immondes injures contre sa femme, la traitait publiquement en fille battant les trottoirs, se laissant engrosser par le premier passant venu. Et cela courait les ateliers, quel était donc le camarade qui avait fait l’enfant à la Josine  ? On en causait même chez le directeur, et Delaveau avait dit devant Fernande son gros ennui de tout cela, tellement Ragu prenait mal la chose, enragé de jalousie ne travaillant plus que comme un fou, tantôt ne touchant pas un outil de trois jours, tantôt se ruant sur la besogne, brassant le métal en fusion avec furie, en homme qui a besoin de taper et de tuer.

Un matin d’hiver, au premier déjeuner, comme Delaveau était parti la veille pour Paris, où il devait passer trois jours Fernande, questionna sa femme de chambre, qui lui servait son thé, avec des rôties. Nise était là, assise bien sagement, buvant sa tasse de lait, jetant des regards de convoitise sur le thé de sa mère, une gourmandise défendue.

«  Est-ce vrai, Félicie, qu’il y a eu encore une querelle chez les Ragu  ? La blanchisseuse m’a dit que Ragu, cette fois, avait à moitié tué sa femme.

— Je ne sais pas, Madame, mais ça pourrait bien être exagéré, parce que j’ai vu tout à l’heure la Josine passer devant la maison, et elle n’avait pas l’air plus abîmée que les autres jours.  »

Il y eut un silence, puis la femme de chambre, en s’en allant, ajouta  :