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Page:Zola - Travail.djvu/365

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«  Ça n’empêche qu’il la tuera pour sûr, un de ces jours, car il le dit à tout le monde.  »

Le silence retomba. Fernande mangeait lentement, sans une parole, perdue dans son rêve noir, lorsque Nise, au milieu de ce lourd recueillement de l’hiver, pensa tout haut, en chantonnant à demi-voix.

«  Le vrai mari de Josine, ce n’est pas Ragu, c’est le maître de la Crêcherie, c’est M. Luc, M. Luc, M. Luc  !   »

Stupéfaite, la mère leva les yeux, la regarda fixement.

«  Qu’est-ce que tu dis là, toi  ? Pourquoi dis-tu ça  ?   »

Mais, saisie d’avoir chanté ça, sans le vouloir, Nise fourrait son nez dans sa tasse, tâchait de prendre un air innocent.

«  Moi, pour rien. Je ne sais pas.

— Comment, tu ne sais pas, petite menteuse  ! Ça ne t’est pas venu tout seul, ce que tu chantes là. Il faut bien que quelqu’un te l’ait dit, pour que tu le répètes.  »

De plus en plus troublée, sentant qu’elle s’était mise dans une vilaine histoire, qui allait la mener très loin, Nise s’entêtait contre l’évidence, de son air le plus dégagé possible.

«  Je t’assure, maman, on chante des choses, sans savoir, quand ça vous passe par la tête.  »

Fernande, à la regarder fixement, à la voir si la gamine dans le mensonge, eut une brusque illumination.

«  C’est Nanet qui t’a dit ce que tu chantes, ça ne peut être que Nanet.  »

Les paupières de Nise battirent, c’était bien Nanet. Mais elle eut peur d’être grondée, punie encore, comme le jour ou sa mère l’avait surprise, avec Paul Boisgelin et Louise Mazelle, revenant de la Crêcherie, par-dessus le mur. Et elle crut devoir s’entêter à mentir.

«  Oh  ! Nanet, Nanet  ! puisque je ne le vois plus du tout, depuis que tu me l’as défendu  !   »