Page:Zola - Travail.djvu/377

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

avaient gardé tout le souffle qui l’avait emportée. Et elle dut revivre la minute, elle remâcha sans fin la volupté terrible, dans ce fumet dont sa chair était imprégnée, et qu’elle avait jusque sous les ongles. Le sommeil ne venait pas, elle était sur le dos, sans un mouvement, enfouie dans les couvertures, fermant les yeux, serrant ses mains nues au-dessous de son ventre nu, en proie au furieux souvenir qui la secouait, qui la brûlait du recommencement continu de ce bonheur ignoré, atroce, dont elle ne pouvait se rassasier. Les heures se passaient, et elle ne bougeait pas, et c’était la chute exécrable et délicieuse d’un vertige sans fin.

Vers dix heures, Félicie, la femme de chambre, finit par frapper et par entrer, surprise que Madame n’eût pas sonné encore, et d’autant plus impatiente, qu’elle venait d’apprendre une grosse nouvelle qui révolutionnait le quartier.

«  Madame n’est pas malade  ?   »

Ne recevant pas de réponse, elle attendit un instant, puis se dirigea vers la fenêtre, pour ouvrir les persiennes, comme elle en avait l’habitude. Mais un murmure, sorti de l’ombre du lit, l’arrêta.

«  Alors, Madame veut se reposer  ?   »

Toujours pas de réponse. Et Félicie, que brûlait le désir d’apprendre à Madame la grosse nouvelle, se décida quand même.

«  Madame ne sait pas  ?   »

Un grand silence frissonnant emplissait la chambre enténébrée. Il ne sortait du lit, vague et perdu, qu’un petit souffle, la vie ardente, décuplée, enfouie là, dans l’étouffement âcre des couvertures.

«  Eh bien  ! Madame, c’est un ouvrier de l’Abîme, c’est ce Ragu, vous savez, qui vient de tuer d’un coup de couteau M. Luc, le maître de la Crêcherie.  »

Fernande, comme sous la détente d’un ressort, se leva