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Page:Zola - Travail.djvu/397

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pied au travers de ces champs fertiles, et parfois il rencontrait Feuillat, le fermier de Boisgelin, qui flânait également, les mains au fond des poches, en regardant, de son air silencieux et énigmatique, pousser les belles récoltes dans ces terres si bien cultivées. Il savait la grande part qu’il avait prise à l’initiative de Lenfant et d’Yvonnot, il n’ignorait pas que c’était lui qui, aujourd’hui encore, les conseillait. Et sa surprise restait grande de voir dans quel état de souffrance il laissait les terres qu’il avait affermées, ce domaine de la Guerdache dont les champs pauvres, maintenant, faisaient tache, semblaient un désert inculte, à côté de l’autre domaine si riche des Combettes.

Un matin, comme tous deux suivaient en causant un chemin qui séparait les deux propriétés, il ne put s’empêcher de lui en faire la remarque.

«  Mais dites donc, Feuillat, vous n’éprouvez pas quelque honte à si mal tenir vos terres, lorsque, de l’autre côté de cette route, les terres de vos voisins sont si admirablement cultivées  ? D’ailleurs votre simple intérêt devrait vous déterminer à un travail actif et intelligent dont je vous sais très capable.  »

Le fermier n’eut d’abord qu’un sourire muet. Puis, il osa parler sans crainte.

«  Oh  ! monsieur Luc, la honte est un sentiment trop raffiné pour nous, les pauvres bougres. Et quant à mon intérêt, il est bonnement de tirer juste ma vie de ces terres, qui ne sont pas à moi. C’est ce que je fais, je les cultive assez pour avoir du pain, car ce serait une trop grande duperie, de les travailler, de les fumer, d’en faire des terres excellentes, puisque cela n’enrichirait que M. Boisgelin, qui peut, à chaque fin de bail, me jeter dehors… Non, non  ! pour faire d’un champ un bon champ, il faut qu’il soit à vous, ou mieux encore qu’il soit à tout le monde.  »