Page:Zola - Travail.djvu/403

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signerai ce soir… J’hésitais encore, mais on m’embête trop à la fin  !   » Il se laissa tomber sur une chaise, tandis que Dacheux, saisi, suffoqué, ne trouvait à bégayer que des jurons. Et Mme Laboque, alors, écrasée dans son comptoir, dit à son tour sa plainte, d’une voix basse et monotone.

«  Avoir tant travaillé, mon Dieu  ! nous être donné tant de mal, au commencement, quand nous avons débuté, en allant vendre de la quincaillerie de village en village  ! Et, plus tard, les efforts qu’il nous a fallu faire ici, pour ouvrir cette boutique, pour l’agrandir ensuite d’année en année  ! On était tout de même récompensé, ça marchait, on nourrissait le rêve d’acheter une maison en pleine campagne, pour s’y retirer avec des rentes. Puis, voilà que ça croule, Beauclair devient fou, je n’ai pas encore compris pourquoi, mon Dieu  !

— Pourquoi, pourquoi  ? gronda Dacheux, parce que c’est la révolution et que les bourgeois sont des lâches qui n’osent même pas se défendre. Moi, un de ces matins, si l’on m’y pousse, je vais prendre mes couteaux, et vous verrez  !   »

Laboque haussa les épaules.

«  Belle affaire  ! … C’est bon quand on a le monde avec soit  ; mais, quand on se sent à la veille de rester tout seul, le mieux est encore tout en enrageant, d’aller où vont les autres… Caffiaux l’a bien compris.

— Ah  ! cette crapule de Caffiaux  ! hurla le boucher, repris de fureur. En voilà un traître, un vendu  ! Vous savez que ce bandit de M. Luc lui a donné cent mille francs pour nous lâcher.

— Cent mille francs  ! répéta le quincaillier, avec des yeux de flamme, en affectant une ironie sceptique, je voudrais bien qu’il me les offrît, je les prendrais tout de suite… Non, voyez-vous, c’est bête de s’entêter, la sagesse est d’être toujours avec les plus forts.