Page:Zola - Travail.djvu/409

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que celui-ci accueillerait sans doute fort mal. Alors, on employa les grands moyens. Son gendre, le capitaine Jollivet, à la suite du départ de sa femme, s’était lancé dans la réaction, avec une furie croissante. Il donnait de tels articles au Journal de Beauclair, que l’imprimeur Lebleu, inquiet de la façon dont tournaient les choses, sentant la nécessite d’être du côté des plus forts, lui avait un jour fermé sa porte, désireux d’évoluer, de passer du parti de l’Abîme au parti de la Crêcherie. Désarmé, oisif, le capitaine promenait ses colères impuissantes, lorsqu’on eut l’idée que lui seul pouvait déterminer le président à prendre parti, car il n’avait point rompu complètement avec son beau-père, il échangeait encore des saluts avec lui. Chargé de cette mission délicate, il se rendit donc chez ce dernier en cérémonie, il ne reparut pas de deux longues heures  ; et, quand il sortit de la maison il n’avait tiré de son beau-père que des réponses évasives, mais il était réconcilié avec sa femme. Le lendemain, elle réintégra le domicile conjugal, le capitaine pardonnait pour cette fois, sur l’engagement formel qu’elle ne recommencerait pas. Tout Beauclair fut stupéfait de ce dénouement, et cela finit dans un grand éclat de rire.

Ce furent les Mazelle qui réussirent à confesser le président Gaume, par hasard et sans avoir été chargés d’aucune mission. D’habitude chaque matin, il sortait, il gagnait le boulevard de Magnolles, fine longue avenue déserte, et il s’y promenait sans fin, la tête basse, les mains derrière le dos, dans une sombre rêverie. Ses épaules pliaient comme sous l’effondrement final, il semblait dans l’anéantissement de toute une existence manquée, du mal qu’il avait fait, du bien qu’il ne pouvait faire. Et, quand

il relevait un instant les yeux, regardant au loin, il paraissait attendre de l’inconnu de demain quelque chose qui ne venait pas, qu’il ne verrait