Page:Zola - Travail.djvu/440

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et elle avait assisté, sans y prendre part, de loin pour ainsi dire, au drame qui se déroulait, la lente ruine de l’Abîme en face de la prospérité croissante de la Crêcherie, la contagion de la jouissance, dont la folie, autour d’elle, emportait son monde au gouffre. Enfin, une démence dernière venait de tout anéantir dans une suprême flambée d’incendie, et elle non plus ne doutait pas que ce ne fût Delaveau, prévenu, qui eût allumé ce Colossal bûcher, pour s’y brûler avec la coupable, la corruptrice, la dévoratrice. Elle en gardait aussi le frisson, elle se demandait si elle n’était pas un peu complice, par sa faiblesse, sa résignation à tolérer depuis si longtemps la trahison, la honte installées chez elle. Si elle s’était révoltée dès le premier jour, peut-être le crime ne serait-il pas allé jusqu’au bout. Et ce débat de sa conscience acheva de la bouleverser, de l’attendrir devant ce misérable homme qu’elle voyait, depuis la catastrophe, promener éperdument son affreux désarroi, au travers du jardin désert et de la maison vide.

Alors, comme elle traversait un matin le grand salon, où il avait donné tant de fêtes, elle l’aperçut effondré dans un fauteuil qui pleurait comme un enfant, à gros sanglots. Elle en fut toute remuée, emplie d’une grande pitié. Et elle s’approcha, elle qui, depuis tant d’années, ne lui adressait plus la parole quand le monde était parti.

«  Ce n’est pas en te désespérant, dit-elle, que tu trouveras la force dont tu as besoin.  »

Saisi de la voir, de l’entendre lui parler, il la regardait confusément, parmi ses larmes.

«  Oui, tu auras beau errer du matin au soir, le courage doit être en toi, tu ne le trouveras pas ailleurs.  »

Il eut un geste de désolation, il répondit à voix très basse  :

«  Je suis si seul  !   »