Page:Zola - Travail.djvu/444

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la moitié de sa valeur car ce serait l’aveu de notre ruine, et tout le pays s’entendrait contre nous, pour se réjouir et spéculer.  »

Puis, il se servit d’un argument plus direct  :

«  D’ailleurs, chère amie, la Guerdache est à toi. Ainsi qu’il a été dit dans les actes, les cinq cent mille francs de l’achat ont été pris sur le million de ta dot, et les autres cinq cent mille francs sont entrés pour la moitié dans le million que l’Abîme nous a coûté. Si nous sommes copropriétaires de l’usine, la Guerdache est donc ta propriété entière, et mon désir est simplement de te la conserver le plus longtemps que nous pourrons.  »

Suzanne eut un geste, ne voulant pas insister, mais laissant entendre que, depuis longtemps, elle était résignée à tous les sacrifices. Son mari la regardait, et il parut brusquement pris d’un souvenir.

«  Ah  ! dis donc, je voulais te demander… Est-ce que tu as jamais revu ton ancien ami, M. Luc Froment  ?   »

Elle demeura un instant stupéfaite. À la suite de la fondation de la Crêcherie et de la rivalité aiguë qui s’était déclarée entre les deux usines, sa rupture nécessaire avec Luc n’avait pas été le moindre de ses chagrins, parmi tant d’amertumes domestiques. Elle perdait en lui un cœur fraternel, cordial et consolateur, qui l’aurait secourue, soutenue. Mais elle s’était résignée une fois de plus, elle ne l’avait dès lors rencontré que de loin en loin, au hasard de ses rares sorties, sans jamais lui adresser la parole. Lui-même imitait sa discrétion, son renoncement, il semblait bien que leur ancienne intimité attendrie était pour toujours morte. Cela n’empêchait pas la jeune femme de porter à l’œuvre de Luc un intérêt passionné, dont elle ne parlait à personne. Elle continuait à être secrètement avec lui, dans son effort généreux, dans sa volonté de mettre un peu de justice et d’amour sur la