Page:Zola - Travail.djvu/449

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ne se hâtait point de mettre son projet à exécution. Il semblait lui suffire d’avoir trouvé la solution qui, selon lui, devait les sauver tous  ; et il était repris par son indolence, incapable de volonté. D’ailleurs, elle avait à la Guerdache un autre grand enfant dont les allures lui causèrent une soudaine inquiétude. M. Jérôme, le grand-père, qui venait d’atteindre l’âge avancé de quatre-vingt-huit ans, malgré la sorte de mort vivante dont la paralysie l’avait frappé, menait toujours à l’écart sa vie muette, n’ayant plus de rapports avec le monde extérieur, en dehors de ses continuelles promenades, dans la petite voiture que poussait un domestique. Seule, Suzanne entrait chez lui, le soignait, avait les attentions tendres que, fillette, elle lui prodiguait déjà, il y avait bientôt trente ans, dans cette même chambre du rez-de-chaussée, ouvrant sur le parc. Et, elle était si habituée aux yeux clairs du vieillard, ces yeux sans fond, comme pleins d’eau de source, qu’elle pouvait y lire les moindres ombres fugitives. Or, depuis les derniers événements, les yeux s’étaient assombris, il semblait qu’un sable lointain, en se soulevant, les eût troublés. Pendant tant d’années monotones, elle s’était penchée sur eux sans rien y voir, se demandant si la pensée ne s’en était pas allée à jamais, pour qu’ils restassent si purs, si vides  ! Était-ce donc, maintenant, que la pensée revenait  ? Ces ombres, ces fièvres renaissantes n’indiquaient-elles pas un réveil possible de tout l’être  ? Peut-être même avait-il toujours été conscient, intelligent  ; peut-être était-ce, par un miracle, le dur lien physique de la paralysie qui se relâchait, le délivrant un peu, au moment de la fin, du silence et de l’immobilité où il avait vécu si longtemps emprisonné. Et elle suivait avec une surprise et une angoisse croissantes ce lent travail de délivrance.

Un soir, le domestique qui poussait la petite voiture de M. Jérôme, se permit d’arrêter Suzanne, comme