Page:Zola - Travail.djvu/450

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elle sortait et la chambre du vieillard, remuée par le regard vivant dont il l’avait accompagnée jusqu’à la porte.

«  Madame, je me suis promis de vous dire… Il me semble que Monsieur n’est plus le même. Aujourd’hui, il a parlé.  »

Saisie, elle s’écria  :

«  Comment, il a parlé  !

— Oui, hier même, j’avais bien cru l’entendre bégayer des mots, à demi-voix pendant une petite halte que nous avons faite, sur la route de Brias, en face de l’Abîme. Mais, aujourd’hui, comme nous passions devant la Crêcherie, il a certainement parlé, j’en suis sûr.

— Et qu’a-t-il dit  ?

— Ah  ! Madame, je n’ai pas bien compris, je crois bien que s’étaient des paroles sans suite, ça n’avait pas de sens raisonnable.  »

Dès lors, dans sa tendresse inquiète, Suzanne surveilla de près le grand-père. Le domestique avait l’ordre, chaque soir, de venir conter la journée à Madame. Et ce fut ainsi qu’elle put suivre la fièvre croissante qui semblait s’emparer de M. Jérôme. Il était pris d’un besoin de voir, d’entendre, il exigeait qu’on prolongeât ses promenades, comme s’il fût avide des spectacles se déroulant le long des routes. Mais, surtout, il se faisait conduire quotidiennement aux deux mêmes endroits, soit à l’Abîme, soit à la Crêcherie, sans se lasser de regarder pendant des heures les ruines sombres de l’un, la gaie prospérité de l’autre. Il forçait le domestique à ralentir la marche, il lui ordonnait de repasser à plusieurs reprises, bégayant de plus en plus distinctement ces mots sans suite, dont le sens échappait encore. Et Suzanne, bouleversée de ce lent réveil, finit par faire venir le docteur Novarre, désireuse d’avoir son avis.

«  Docteur, lui dit-elle, après lui avoir expliqué le cas, vous ne sauriez croire de quel effroi cela m’emplit. C’est