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Page:Zola - Travail.djvu/45

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Mais Luc avait frémi. La menace prophétique éclatait comme l’effroyable conséquence de ce qu’il voyait, de ce qu’il entendait, depuis la tombée du jour. Tant d’iniquité et de misère appelait la catastrophe finale, que lui aussi avait senti venir du fond de l’horizon, telle qu’une nuée vengeresse qui brûlerait, qui raserait Beauclair. Et il souffrait, dans son horreur de la violence. Quoi ! le potier aurait-il raison ? Faudrait-il la force, faudrait-il le vol et le meurtre, pour rentrer dans la justice ? Bouleversé, il avait cru, au milieu de dures et sombres faces de travailleurs, voir passer les faces pâles du maire Gourier, du président Gaume et du capitaine Jollivet. Puis, c’étaient les deux visages des Mazelle, suant la peur, qui repassaient devant lui, dans l’effarement d’un bec de gaz. La rue lui fit horreur, il n’eut plus qu’une idée de pitié et de consolation, rattraper Nanet, le suivre, savoir dans quel coin de ténèbres était tombée Josine.

Nanet marchait, marchait, de tout le courage de ses petites jambes. Et Luc, qui l’avait vu filer par le haut de la rue de Brias, du côté de l’Abîme, le rattrapa cependant assez vite, tant le cher enfant avait de la peine à traîner son grand pain. Il le serrait sur sa poitrine, de ses deux bras dans la crainte de le perdre, et sans doute aussi dans celle qu’un méchant homme ou qu’un gros chien ne le lui arrachât. Lorsqu’il entendit le pas pressé de Luc derrière lui, il dut être pris d’une peur affreuse, il s’efforça de courir. Mais, s’étant retourné, ayant reconnu, à la lueur d’une des dernières boutiques, le monsieur qui leur avait souri, à lui et à sa grande, il se rassura, il se laissa rattraper.

« Veux-tu que je le porte, ton pain ? lui demanda le jeune homme.

— Oh ! non, je le garde, ça me fait trop plaisir. »

Maintenant, on était sur la route, en dehors de Beauclair, dans l’obscurité du ciel bas et tumultueux. Seules, à quelque distance, commençaient à luire les lumières de