Page:Zola - Travail.djvu/44

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c’est à nous qu’on a tout volé, c’est nous qui avons le droit de tout reprendre ! Et pas demain, mais ce soir, nous devrions rentrer en possession du sol, des mines, des usines, de Beauclair entier, si nous étions des hommes ! Et il n’y a pas deux moyens, il n’y en a qu’un, flanquer d’un coup l’édifice par terre, détruire partout l’autorité à coups de hache, pour que le peuple, à qui tout appartient, puisse tout reconstruire enfin ! »

Des femmes prirent peur. Les hommes eux-mêmes, devant la véhémence agressive de ces paroles, se taisaient maintenant, reculaient, inquiets des suites. Peu comprenaient, le plus grand nombre n’en étaient pas à cette révolte exaspérée, sous l’écrasement séculaire du salariat. À quoi bon tout ça ? on n’en crèverait pas moins de faim, et on irait en prison.

« Je sais, vous n’osez pas, continua Lange, d’un air de goguenardise terrible. Mais il y en a bien qui oseront un jour… Votre Beauclair, on le fera sauter, à moins qu’il ne tombe lui-même de pourriture. Vous n’avez guère de nez, si vous ne sentez pas, ce soir, que tout est gâté et que ça empoisonne la charogne ! Tout ça n’est plus que fumier, et il n’y a vraiment pas besoin d’être grand prophète pour annoncer que le vent qui souffle emportera la ville et tous les voleurs, tous les assassins, nos maîtres… Que tout croule et que tout crève ! à mort, à mort ! »

Le scandale devenait tel, que le sous-préfet Châtelard, bien qu’il fût pour l’indifférence, se vit forcé de sévir. Il fallait arrêter quelqu’un, trois gendarmes se jetèrent sur Lange et l’emmenèrent, par une rue transversale, sombre et déserte, où le bruit de leurs bottes se perdit. D’ailleurs, il n’y avait eu, dans la foule, que des mouvements contraires et comme indistincts, vite apaisés. Et l’attroupement se trouva dispersé, le piétinement recommença, lent et silencieux, dans la boue noire, d’un bout à l’autre de la rue.