Page:Zola - Travail.djvu/471

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d’extraordinaire noblesse, eut cependant une hésitation, en sentant combien Boisgelin était hostile.

«  Je ne puis, dit-il, faire qu’une chose. C’est simplement, si les propriétaires de l’Abîme le veulent bien, les accepter dans notre association de la Crêcherie. Comme d’autres usines sont déjà venues à nous, l’Abîme élargira notre famille d’ouvriers, doublera d’un coup l’importance de notre ville naissante. Et, si par rendre vous entendez ce retour à plus de justice, à un acheminement vers la justice totale, je puis vous aider, j’y consens de tout mon cœur.

— Je sais, répondit lentement M. Jérôme, je ne demande pas davantage.  »

Mais Boisgelin, ne pouvant se contenir plus longtemps, protesta.

«  Ah  ! non, ce n’est pas ce que je veux. Malgré le gros chagrin que j’en aurai, je suis prêt à céder l’Abîme à la Crêcherie. Le prix de vente sera débattu, je demanderai, en dehors de la somme fixée, de garder un intérêt dans la maison, dont on discutera aussi le chiffre… J’ai besoin d’argent, je veux vendre.  »

C’était le plan qu’il mûrissait depuis quelques jours, dans l’idée que Luc avait une envie folle des terrains de l’Abîme, et qu’il tirerait de lui une somme considérable, immédiatement, tout en se réservant des rentes pour l’avenir. Et tout ce plan croula, lorsque Luc déclara d’une voix nette, où l’on sentait une volonté irrévocable  :

«  Il nous est impossible d’acheter. Cela est contraire à l’esprit qui nous dirige. Nous ne sommes qu’une association, une famille ouverte à tous les frères désireux de se joindre à nous.  »

M. Jérôme, dont les regards éclatants s’étaient fixés sur Boisgelin, reprit sans colère, avec sa tranquillité souveraine  :

«  C’est moi qui veux et qui ordonne. Ma petite-fille